La stagnation séculaire dans un contexte
d’économie ouverte
Dans
un document fondateur, Blanchard et al. (2015) ont souligné qu’au cours des 40
dernières années, les récessions dans les pays avancés ont été associées
souvent à une croissance plus faible au lendemain des crises. Les
interrogations sur les causes de ce constat sont de deux natures. D’abord, la
croissance potentielle s’affaiblie suite à un retournement de cycle économique,
traduisant une insuffisance de l’offre qui soit due à une panoplie de
facteurs : faibles gains en productivité, hausse des inégalités sociales,
vieillissement de la population active, globalisation, rareté des matières
premières, destruction de capital productif, dépréciation du capital humain des
chômeurs et une baisse drastique de l’investissement. Ensuite, l’output gap devient
anormalement persistant, ce qui révèle
une incapacité à faire converger l’économie vers le plein emploi. La crise
économique et financière de 2008, ne faisant pas exception, a donné lieu à une
sévère récession qui se caractérise par une reprise anormalement lente
(Summers, 2013 et 2014 ; Rawdanowicz et al., 2015), où les économies avancées
se sont plongées dans un environnement de croissance faible et de taux
d’intérêt proche de zéro, et le seront encore sur un horizon indéfini (Summers
et al., 2016). D’où l’hypothèse d’une stagnation suffisamment durable pour être
déclarée « séculaire ».
L’hypothèse de stagnation séculaire a été pour
la première fois évoquée en 1938 dans un
discours de Hansen qu’il publiera en 1939 dans un article intitulé « Economic
Progress and Declining Population Growth ». Ce dernier s’inquiète alors d’un
investissement insuffisant aux États-Unis et d’un déclin de la population après
une longue et forte période d’expansion économique et démographique.
L’hypothèse de stagnation séculaire s’interprète comme une abondance d’épargne
entraînant une baisse du taux d’intérêt réel « naturel » (celui compatible avec
le plein emploi) en dessous de zéro. Or, si le taux d’intérêt réel reste durablement au-dessus du taux naturel, il en
résulte un déficit chronique de demande globale mais aussi d’investissement ce
qui entrainera une dépréciation de la croissance potentielle. Pour contrer une
telle configuration, les autorités monétaires ont donc choisi, dès le début de
la crise aux États-Unis, et avec plus de retard en Europe, une politique accommodante
avec une baisse du taux directeur. En effet, une telle politique est censée
réduire les taux d’intérêt nominaux et donc soutenir l’activité économique avec
une relance de l’inflation, ce qui dans tous les cas réduit le taux d’intérêt
réel puisque, rappelons-le, il est égal au taux nominal moins l’inflation. Mais
en atteignant la borne zéro du taux d’intérêt directeur nominal, la politique
monétaire conventionnelle atteint sa limite d’action. De ce fait, les banques
centrales ne peuvent forcer les taux d’intérêt à être très négatifs sinon les
agents privés auraient tout intérêt à conserver leur épargne en billets de
banque. Dès lors, la très faible inflation observée, voire la déflation,
crédibilise d’autant plus l’hypothèse d’une stagnation séculaire.
D’après
Eggertsson et Mehrotra (2014), la stagnation séculaire aurait ainsi
été initiée par la crise économique et financière de 2008. Cette dernière est
associée à un surendettement des ménages qui s’est traduit durant la crise par
un rationnement du crédit à ces mêmes ménages. Dans ce contexte, le
rationnement du crédit engendre une baisse de la demande et une abondance
d’épargne. Dès lors, le taux d’intérêt réel d’équilibre diminue. Les autorités
monétaires, pour contrer la faible inflation associée à la chute de la demande
doivent alors réduire leur taux directeur, mais une telle politique n’est bien
sûr possible que lorsque le taux nominal associé pour garantir l’obtention de
la cible d’inflation reste positif, c’est-à-dire si le taux d’intérêt n’a pas
atteint la borne zéro. Si tel est le cas, alors la politique monétaire
conventionnelle devient inactive en atteignant la ZLB. Dans une telle
configuration, la cible d’inflation ne peut plus être atteinte, ce qui mène
l’économie vers une zone de faible inflation, voire même de déflation. Dans ce dernier
cas de figure, la rigidité nominale à la baisse des salaires se traduit par un
renchérissement du coût réel du travail et donc par une baisse de la demande de
travail par les entreprises. Par conséquent, le chômage augmente de manière persistante.
Etat
des lieux des économies avancées :
Nombreux
pays développés sont actuellement confrontés à des situations de croissance
faible, de taux d’intérêt proche de zéro et une inflation qui ne décolle
toujours pas.
Figure 1. Taux
d’intérêt nominal de 10 ans
Source :
OCDE
La
figure 1 montre une tendance baissière des taux d’intérêt de long terme dans
l’ensemble des économies avancées, corroborant à la fois le déclin des taux
d’intérêt de court terme et de l’inflation.
Dans
un contexte d’ouverture économique, il est observé que cette baisse de taux
d’intérêt est associée à de fortes fluctuations au niveau des balances de
paiements de ces pays (Summers et al., 2016), comme le montre la figure 2.
Figure 2. Solde du
compte courant
Source :
Banque mondiale
Par
ailleurs, le déficit du solde du compte courant semble être un indicateur de
déficit entre épargne et investissement comme le suggère les mouvements de
capitaux observés sur la même période (voir figure 3).
Figure 3. Sorties
nettes des capitaux des économies émergentes
Source :
Institute for international finance
Description
théorique :
L’ensemble
de ces évidences témoignent des liens qui puissent exister entre la stagnation
séculaire et les mouvements de capitaux.
En
effet, Summers et al. (2016) ont démontré, à travers un modèle IS-MP (Romer,
2013), qu’une situation de stagnation séculaire peut être transmise d’une
économie à une autre par le biais des mouvements de capitaux entre ces deux
économies.
Considérons
un cas hypothétique de deux économies X et Y, où X est dans situation de stagnation séculaire
alors que Y ne l’est pas. Des flux de capitaux de l’économie X vers Y, implique
que le taux d’intérêt réel naturel devrait baisser afin d’équilibrer le marché
des capitaux qui, désormais, accuse une offre supplémentaire de l’épargne. Cette
baisse du taux d’intérêt naturel implique des pressions sur la politique
monétaire afin d’abaisser le taux directeur, car sinon au cas où le taux
directeur est au-dessus du taux naturel la demande se déprime. Ainsi, la
politique monétaire abaisse son taux afin de soutenir la demande. En cas
d’afflux supplémentaire de capitaux, l’économie B se retrouvera franchir la
borne zéro du taux d’intérêt. De manière schématique, ce mécanisme peut être
décrit de la façon suivante :
Figure 4. Équilibre en
stagnation séculaire
Tout
d’abord, l’économie se trouve dans une situation d’équilibre au point A, qui
constitue l’intersection des deux courbes de demande et d’offre (AD et AS). En
cas d‘entrées de capitaux, une dépréciation du taux d’intérêt naturel s’opère
vu le déséquilibre instantané entre épargne et investissement. Afin de garder
le même équilibre, celui du point B, les autorités monétaires abaissent le taux
directeur. Ensuite, des flux de capitaux supplémentaires peuvent conduire à un
déplacement de l’équilibre au point C, qui est un équilibre de stagnation
séculaire, où le taux d’intérêt a atteint sa borne inférieure, l’inflation est
en-dessous de sa cible et l’output gap est ouvert.